terça-feira, 5 de janeiro de 2010

Ça va pas le faire!

Chaque génération apporte son lot de néologismes et d’expressions nouvelles. Beaucoup passent vite de mode. Une des dernières-nées, promise à un avenir incertain : « ça va le faire ».

Louis-Jean Calvet

Il y a environ trois ans est apparue en français une nouvelle expression, ça va le faire (pour « ça ira », « ça marchera »), ou ça ne va pas le faire, ça le fera pas, avec le sens contraire. Très utilisée, cette forme était cependant limitée à une classe d’âge, celle des jeunes, en particulier des étudiants. C’est-à-dire que les gens de ma génération l’entendaient, la comprenaient mais ne l’utilisaient pas. Et voici début octobre 2009 que, suivant à la télévision un entretien avec un homme politique (Jean- François Copé), je l’entends dire : « Ça ne va pas le faire. » Et, en réfléchissant, je me dis qu’il doit m’arriver, moi aussi, de l’employer. Volonté de faire « jeune » ou usage « normal » ? Je n’en sais rien, mais il est intéressant de voir comment la langue se renouvelle et comment elle se débarrasse parfois (mais pas toujours) tout aussi vite de ses innovations.

Flux et Reflux des Néologismes

Chaque génération apporte ainsi son lot de néologismes ou d’usages nouveaux. Souvenez-vous des diverses façons dont les générations successives ont exprimé leur contentement : c’est bath, c’est chouette, c’est super, c’est extra, puis c’est giga, c’est géant, c’est trop, etc. Nous pourrions presque mettre des dates sur ces expressions, qui se déposent dans la langue comme des fossiles dans une couche géologique. Il y a un peu plus de trente ans, le pied s’abattait sur le français : c’est le pied !, prendre son pied… L’expression était ancienne, venant de la pratique des chefs de bandes de mettre au pied de leurs complices leur part de butin après un cambriolage par exemple : chacun prenait son pied, c’est-à-dire sa part. Puis le sens s’est élargi : prendre sa part de plaisir (sexuel), d’où c’est le pied, qui venait s’ajouter à la liste ci-dessus, c’est bath, c’est chouette, etc. Or mes étudiants, que j’interrogeais sur ce point, m’ont dit que c’est le pied « faisait vieillot ». En trente ans, donc, une expression jusque-là limitée à des usages très spécialisés (le milieu des cambrioleurs) est devenue à la mode, a été utilisée par tout le monde, puis s’est raréfiée pour, enfin, être considérée comme vieillotte. Faut-il en conclure que, dans la langue comme dans le vêtement, l’avenir de la mode est de se démoder ? Rien n’est moins sûr, comme nous allons le voir.

Il y a vingt ans, la préposition sur voyait ses emplois s’élargir considérablement. Être sur Paris, pour être à Paris, aller sur Marseille pour aller vers Marseille (cet emploi était jusque-là réservé au domaine militaire : les armées marchent sur Marseille). Comme le pied, cet usage a d’abord surpris, il a aussi énervé les puristes, puis il s’est ensuite généralisé et on continue de l’entendre quotidiennement. Dans un cas, vieillissement, dans l’autre, adoption – du moins pour l’instant. Car il est difficile, voire impossible, de prévoir les mouvements de la langue. Je ne sais pas quel sera l’avenir de ça va le faire ou ça va pas le faire, si l’expression va perdurer ou disparaitre, si elle fera « vieillot » dans un an, dans dix ans… Mais il serait amusant de faire un relevé de ces expressions météorites, qui passent dans le ciel linguistique, font trois petits tours et puis s’en vont. Le pied, sur, ça va le faire : ces trois expressions peuvent ainsi être prises comme des indicateurs parmi d’autres d’évolution, et nous montrent l’imprévisibilité du changement. La linguistique explique, rationalise (mais a posteriori) les changements dans le domaine des sons par l’intermédiaire de lois phonétiques, mais cela est impossible dans le domaine du lexique : aucune « loi sémantique » ne pourrait expliquer c’est le pied ou ça va le faire, et aucune loi statistique ne pourrait nous dire leur avenir. Nous sommes dans le domaine de l’indécidable. La langue fonctionne ainsi un peu comme une éponge qui se gorge d’eau puis, si on la presse, rejette le liquide mais reste humide. Elle retient certains des mots nouveaux, certaines des expressions nouvelles qui apparaissent cycliquement, en général une minorité, et rejette les autres qui deviennent des fossiles linguistiques. Alors, ça va le faire, ça va pas le faire ? L’avenir nous le dira.

Fonte: Le Français dans le Monde, n. 367 - Janeiro-Fevereiro 2010(http://www.fdlm.org/fle/article/367/parler367.php)

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