"La Centrale" d'Élisabeth Filhol est un premier roman magistral, une entrée en littérature remarquée. Il décrit en détail la vie des prestataires de service intérimaires qui travaillent dans les zones les plus dangereuses de nos centrales nucléaires
Jean Marc Jacob
Elles sont en réalité 19, réparties sur le territoire français mais semblent fusionner en une seule silhouette imposante dans le titre du premier roman d'Élisabeth Filhol : "La Centrale". Officiellement, ce sont les CNPE, les Centrales Nucléaires de Production d'Électricité. A Chinon, Blayais, Belleville-sur-Loire ou au Triscatin, leurs lourdes cheminées de béton dominent le paysage comme des monstres semblables et dangereux. Dans leurs entrailles, les hommes sont fragiles et travaillent dans des conditions précaires. Ceux que nous présente Élisabeth Filhol n'appartiennent pas à EDF. Ce sont des intérimaires, des sous traitants du nucléaire, exposés aux radiations pendant les travaux de maintenance des arrêts de tranche annuels. Ils forment une petite communauté itinérante, se retrouvant le temps d'un chantier d'un site à l'autre, vivant parfois ensemble en caravane. Pour ces DATR, ces travailleurs Directement Affectés aux Travaux sous Rayonnements, une chose compte avant tout : la gestion de la dose. Il s'agit, les yeux sur les compteurs, de ne pas dépasser les 20 millisieverts tolérables par an, sous peine d'exclusion du travail pour de longs mois. Et à peine ose-t-on évoquer les effets sur l'organisme !
Chair à Neutrons
La matière première du magnifique roman d'Élisabeth Filhol est glaçante comme les reflets bleus des piscines d'eau borée utilisées pour charger et décharger les assemblages d'uranium. Il s'agit avant tout du corps des hommes gagnant leur vie, contraints, soumis aux atteintes lentes et invisibles d'un travail particulier qui pourrait en symboliser beaucoup d'autres. Son décor est une sorte d'enfer, une fournaise dont on s'approche par cercles, en franchissant des frontières, comme on pénètre en prison, en Centrale comme on dit aussi, justement. Il y a d'implacables radiations sociales dans ces pages. Pourtant si Élisabeth Filhol frappe si fort et si juste, c'est qu'elle n'endosse jamais les attributs de l'agitatrice politique ou de la militante anti-nucléaire.Pas un mot à ce sujet. De longues et très méticuleuses descriptions des opérations, des conditions d'embauches ou la reconstitution de l'incident dont est victime le narrateur nous ancrent dans le réel comme seule peut le faire la littérature. A ce titre, La Centrale se termine sur quelques pages remontant le fil des évènements ayant conduit à l'accident de Tchernobyl avec une puissance et une clarté qu'aucun reportage n'a jamais atteint.
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