Véronique Cassarin-Grand
Heureuse idée, en ces temps d'éthique élastique, que de rééditer le « Petit Manuel Individualiste » de Han Ryner (Allia). De Henri Ner (1861-1938) - son patronyme à l'état civil -, il est dit que c'est un « philosophe et journaliste français, anarchiste, individualiste, pacifiste et anticlérical ». Quatre adjectifs qui incitent à la lecture.
Dans ce bréviaire de la libre pensée, publié en 1905 et rédigé sous forme de dialogue avec lui-même, Ryner initie à « l'individualisme pratique », clé du bonheur qu'il définit comme « l'état de l'âme qui se sent parfaitement libre de toutes les servitudes étrangères et en parfait accord avec elle-même. » Pour ce faire, sa doctrine morale emprunte à ceux qu'il considère comme de « vrais individualistes » (Socrate, Epicure, Epictète), méprisant les « égoïstes lâches » (Montaigne) tout autant que les « égoïstes conquérants et agressifs qui se proclament individualistes » (Stendhal, Nietzsche). Par moment, on retrouve dans ce « Petit manuel individualiste » des échos de la virulence roborative du Calaferte de « Droit de cité ». Extraits :
« Qui m'apprendra mes devoirs personnels et mes devoirs universels ?
Ma conscience.
Comment le sage considère-t-il la société ?
Le sage considère la société comme une limite. Il se sent social comme il se sent mortel.
Comment la société aggrave-t-elle la loi naturelle du travail ?
De trois façons :
1° Elle dispense arbitrairement un certain nombre d'hommes de tout travail et rejette leur part du fardeau sur d'autres hommes ;
2° Elle emploie beaucoup d'hommes à des travaux inutiles, à des fonctions sociales ;
3° Elle multiplie chez tous et particulièrement chez les riches les besoins imaginaires et elle impose au pauvre l'odieux travail nécessaire à la satisfaction de ces besoins.
Le sage croit-il au progrès ?
Il remarque que les sages sont rares à toute époque et qu'il n'y a pas de progrès moral. »
Celui que l'on appelait le « Socrate contemporain » dans les années 20 est issu d'une famille modeste - les parents de Ryner étaient de petits fonctionnaires de l'administration coloniale en Algérie. C'est la mort prématurée de sa mère, femme très pieuse, qui va le faire bifurquer. Il rompt alors avec la religion et s'intéresse de près à la chose sociale. Pour se soustraire au service militaire, il entreprend une licence en philosophie et commence à écrire dans le « Libre Penseur ». Devenu professeur, il entre en franc-maçonnerie. Son premier roman, qualifié par lui de « roman psychologique », « Chair vaincue », est publié en 1889.
Il monte à Paris quelques années plus tard et commence à fréquenter les milieux littéraires. Réfractaire à l'autorité et à la discipline, il quitte la franc-maçonnerie et abandonne le professorat pour se consacrer totalement à la défense de ses idées avec cette militance joyeuse et humaniste qui est sa marque de fabrique. Il publiera au long de sa carrière une cinquantaine d'ouvrages tout en collaborant à divers journaux et revues (« le Libertaire », « l'Insurgé », « Revue Anarchiste »...). Il serait regrettable que cette oeuvre prolixe tombe définitivement dans l'oubli.
http://bibliobs.nouvelobs.com/20100303/18087/lindividualisme-a-visage-humain
Nenhum comentário:
Postar um comentário