Un caban, une saharienne, un smoking, un imprimé ethnique ou une robe trapèze... On a toutes quelque chose sur nous d´Yves Saint Laurent. Car cette immense créateur a fait plus que dessiner des vêtements, il a réinventé nos garde-robes. Retour sur plus de 40 ans de génie.
Lauren Bastide
Le 22 janvier 2002, au Centre Pompidou, lorsqu´il fit ses adieux à la couture lors d´un tout dernier défilé, Yves Saint Laurent glissa ces mots au parterre de journalistes, admirateurs et disciples venus l´acclamer : "Je ne vous oublierai pas." Ceux qui entendirent ces paroles, ce soir-lá, en saisirent certainement l´ironie. Tout le monde savait bien que c´était l´inverse qui se produirait : la mode n´oublierait jamais Yves Saint Laurent.
C´était écrit. Alors qu´il n´a que 26 ans, qu´il signe sa première collection sous son nom, Yves Saint Laurent fait défiler... un caban. Un caban de pêcheur. Bleu marine, à galons dorés. Le geste est révolutionnaire pour l´époque. Imposer les lignes brutes d´un vêtement utilitaire en cette année 1962 où le froufrou virevolte encore autour des genoux des femmes, quelle folie ! Mais il résonne d´une étrange familiarité aujourd´hui... De Gap à A.P.C., en passant par H&M et Uniqlo, le caban est sûrement l´une des pièces basiques les plus vendues. De révolutionnaire, il est passé au rayon des classiques, des indémodables, des universels. Il est sur toutes les épaules, celles des lolitas branchées et de leurs boyfriends, des sages lycéens, des mamans stylées...
Qu´on s´en inspire inconsciemment, qu´on lui rende hommage ouvertement ou qu´on le copie impunément, le style Yves Saint Laurent imprègne la mode contemporaine. En quarante ans de création, il a construit une base inépuisable dans laquelle elle ne cesse de puiser pour mieux se renouveler. Ce n´est pas un hasard si Yves Saint Laurent fut, en 1983, le tout premier créateur à faire l´objet, de son vivant, d´une rétrospective au Metropolitan Museum of Art de New York. En 2002, c´est au Centre Pompidou qu´il choisit de faire ses adieux. En 2010, deux ans après sa mort, Paris lui consacre une exposition hommage au Petit Palais, en collaboration avec la fondation Pierre Bergé-Yves Saint Laurent qui s´est investi de la mission de préserver l´inestimable héritage laissé par le créateur. Une exposition événement qui rassemble 370 modèles emblématiques, des robes trapèze de sa première collection dessiné pour Dior en 1958 aux robes de mousseline monochromatique de son dernier défilé. Pourquoi Yves Saint Laurent est-il un habitué des musées ? Parce que le patrimoine qu´il a laissé est une oeuvre au sens propre.
Pourtant, loin de distanciation respecteuse, le style Saint Laurent est plus que jamais dans la rue. Le vestiaire "army" aux tons beiges et kaki, qui s´impose come la tendance lourde de l ´été 2010, c´est la saharienne de 1966 qui se décline à l´infini. Le métissage des looks des adolescentes d´aujourd´hui, qui mêlent bijoux africains, chapka et foulards indiens sans même s´en rendre compte, ce sont les Africaines, les poupées russes et les caftans de Saint Laurent qui se réinventent sans cesse.
Là encore, cela n´a rien d´étonnant. Yves Saint Laurent, l´homme qui a inventé le prêt-à-porter, a toujours puisé son inspiration dans la rue, chez les vraies femmes de son époque. Au milieu des sixties, Betty Catroux et Loulou de la Falaise, ses éternelles muses, sont des pétroleuses, indépendentes, fantasques, capables de nouer un foulard sur leur tête et d´enfiler des perles de bois sur un morceau de ficelle... Elles incarnent alors le vent de rébellion qui souffla sur la société bien avant de contaminer les podiums. On l´a beacoup lu et répété, si Chanel libéra la femme, Yves Saint Laurent lui donna le pouvoir. "En s´inspirant du vestiaire masculin, en glissant des épaules d´un homme sur celles d´une femme le caban, le tailleur-pantalon, la saharienne, la blouse normande, Saint Laurent le leur a transmis, dira Pierre Bergé. Il a oeuvré socialement, plus que beacoup d´autres, pour l´égalité des sexes et pour la reconnaissance d´une femme moderne, laquelle n´est pas un objet mais participe à la vie de son temps et affiche ses certitudes. "La 'power woman' que Gucci, Prada et les autres n´en finissent pas, cette saison encore à la fashion week de Milan, de réinventer sur les podiums, c´est Saint Laurent qu´il a conçue. Quelle femme pourrait aujourd´hui imaginer une garde-robe sans smoking noir ? Mais ce pantalon droit, cette veste au revers satiné, personne avant lui n´avait jamais songé à les glisser sur les courbes féminines et à les hisser sur talons hauts. "Mon rêve est de donner aux femmes les bases d´une garde-robe classique qui, échappant à la mode de l´instant, leur permette une plus grande confiance en elles-mêmes", disait Saint Laurent lui-même. Mission plus qu´accomplie. Tiraillé toute sa vie entre son obsession des lignes pures et son amour pour la provocation, il a conçu une mode qui s´est toujours balancée avec grâce entre ces deux frontières, s´installant dans un équilibre inégalable et indémodable. Dans quelque direction qu´oscille notre époque, elle a toujours en elle quelque chose de Saint Laurent.
Et si c´était lui qui avait tout inventé ? "Je n´ai qu´un regret, celui de ne pas avoir inventé le jean", répondait-il. Mais au nom des robes trapèze et des trenchs sensuels, des imprimés fous, des transparences et des clashs de couleurs chaudes, on lui pardonne amplement.
Elle, 3350, Março de 2010
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