Cécile Strouk
Du VIIIe au XVe siècle, les poètes arabes d´Espagne ont régné en maîtres sur le sol andalou. Dans leur préface au Chant d´al-Andalus, Hoa Vuong et Patrick Mégarbané reviennent sur les origines ignorées de ces "belles-lettres arabes" qui ont pris leur source dans un contexte politique agité. "D´une souplesse et d´une vigueur nouvelles", la poésie arabe d´Andalousie "dévelope avec aisance son caractère propre" - pièces lyriques en strophes, des variations chantantes, des vers légers et grivois, écrits dans un arabe littéraire qui n´exclut pas une éloquente vulgarité.
Organisé en cinq grands chapitres qui résumenet huit siècles, de la conquête omeyyade (début du VIIIe siècle) à l´ultime royaume des Nasrides (1492), en passant par la domination des Almoravides (1090-1145), cet ouvrage didactique cherche à montrer ce qui fait la particularité de la lyrique arabe. Etroitement imbriqué à l´"efflorescence de la végétation" de la terre andalouse, au poids de la culture orientale et aux événements politiques, elle rappelle à quel point "le sort de chaque poète suit les vicissitudes de son temps". A l´intérieur de ces chapitres sont rassemblées les voix de plus d´une quarantaine de poètes (principalement des hommes), des plus nobles - Ibn Al-´Arabî (XIIIe siècle), consideré comme "le plus grand maître de la spiritualité islamique" - aux plus controversés - Ibn Quzmân (XIIe siècle), "soiffard doublé d´un fornicateur". Une notice biographique précède les poèmes, dont la traduction française fait face a la retranscription d´origine.
Etant donné qu´à cette époque "la carrière poétique permet à un individu de franchir rapidement les échelons de la hiérarchie", l´ouvrage présente un certain nombre de poèmes de commande (éloges des batailles et des victoires) : meilleur moyen pour s´attirer les faveurs du plus puissant commanditaire, le pouvoir politique. Néanmoins, la plus grande partie de cette production linguisitique s´inspire de la tradition orientale, qu´elle détourne au gré du temps, en puissant dans les thèmes classiques que sont la nature - "Ce jardin aux violletes fragrantes / S´emplissait des odeurs entêtantes / Exhalées de ses brocarts et soies" (Ibn Al-Zaqqâq, XIIe siècle) ; l´amour - "La maîtresse à qui mon coeur se lia / M´a laissé lui voler un baiser / Je ne compte pour vrai que cette heure passée" (Ibn Hazm, XIe siècle) ; la mort - "Dans ce caveau, l´on meurt deux fois / L´indifférence vous abat / Tandis que malheur vous broie" (Al-Shafîf Al-Talîq, XIe siècle) ; l´amertume - "C´est que le monde séducteur / Se pare d´un manteau trompeur" (Al-Mu´Tamid, XIe siècle). Sans oublier l´Andalousie, cette muse "aimée et haïe à la fois" qui suscite les vers les plus véhéments : "putain accomplie", "une vieille à l´haleine fétide" (Ibn Shuhayd, XIe siècle).L
Le Chant d´al-Andalus, grâce à la réunion de ces chantres à fleur de peau qui font revivre des siècles de splendeur et de misère, apporte un éclairage complet, nostalgique aussi, sur un courant qui influença jusqu´à la poésie médiévale.
Le Monde Diplomatique, maio de 2011 - pg. 25
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