quinta-feira, 13 de janeiro de 2011

De la Fragilité de la Langue Française

Andreï Makine


Le recul du français est abondamment commenté et déploré. Quand se situe véritablement le début de ce déclin ? Pour faire bonne mesure, on pourrait le dater en choisissant la signature, en 1919, du traité de Verdun (le français y était secondé par l´anglais). Et regretter alors l´anglophonie de Clemenceau et l´influence yankee de sa tigresse d´épouse. Mais, en réalité, bien d´autres raisons expliquent cette lente régression. Certains invoquent la relégation de la France au d´une puissance moyenne, d´autres font un constat désolé de la médiocrité des lettres françaises désertées par les géants et peu exportables. "Malgré la pléthore véritablement ahurissante des belles-lettres françaises, la demande pour ces produits chez nous, en Russie a fortement baissé." C´était Ivan Tourgueniev, en 1868. Flaubert achevait la rédaction de L´Éducation sentimentale...

Aujourd´hui, près d´un siècle et demi après Tourgueniev, cet affaiblissement de l´expression française est constaté, de façon plus générale encore, par Régis Debray, même si ses observations ne visen que le théâtre : "...la parole y est de plus en plus reléguée comme un accompagnement somme toute facultatif des images et du corps. Cette rétraction du verbe me semble révélatrice d´une sorte d´effrondement symbolique. Comme si notre capacité à transfigurer le réel, à le mettre à distance, donc à se détacher de la réalité immédiate, s´amenuisait. Cette crise du signe résume deux crises concomitantes : celle de notre capacité à signifier le monde et celle de notre à fédérer, à rassembler sinon un peuple, du moins un public."

La crise de l´expression littéraire française, d´après Tourgueniev, La Crise de l´esprit, selon Paul Valéry, "la crise du signe", annoncée par Régis Debray... Alors, rien de nouveau dans notre monde sublunaire.

Si, une chose peut-être. Cette conscience diffuse, lancinante que le dépérissement de la francité est irrévocable. Non que le français risque de disparaître, ni la France de se déliter définitivement dans un magma uniformisé de vestiges de nations, dans cette égalisation par le bas que dicte le mondialisme. Tout simplement, ce français ravalé au statut d´une des langues vernaculaires dans une Europe sans identité, cette France ramenée aux proportions d´une province gérée par une démocratie sénile qui ne sait plus défendre ses idéaux, une telle langue et un tel pays n´auront plus rien de commun avec la francité créatrice, passionée, génereuse qui s´ouvrait sur l´univers, l´englobait para sa pensée et le transformait. Mais surtout donnait la parole (la forme !) à cet univers chaotique si difficile à formuler.

La parole... la possibilité de tout dire, sans censure, ou à l´encontre de la censure. Le "malheur français" d´aujourd´hui dont parle bien Jacques Julliard serait-il lié à cette mutité qui s´est imposée autour de certains sujets, à la peur qui s´installe dès la simple évocation de tel ou tel événement ?

La force de la francité, cette liberté avec laquelle la pensée abordait l´homme, la cité et l´Histoire, cette furie intellectuelle française, si peu cartésienne, à cédé la place aux prudentes approches de déminage. Oui, c´est ainsi qu´apparaît, de nos jours, le Français pensant : une inteligence affublée d´innombrables couches de protection et qui tâtonne, si feuille si faufile entre les interdits, rampe sur un chan de mines, tout effrayée d´un possible explosion.

Et si toutes ces mines étaient imaginaires ? Et si on n´était pas obligé, en engageant une franche discussion, de soupeser les caracteristiques ethniques, sociales, sexuelles, etc., de son interlcuteur et de se censurer en fonction de ses critères ? Et si on pouvait se relever et parler à voix haute ? Comme Voltaire à ses meilleures heuruex. Comme Hugo sur son île.



Andreï Makine
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