Claudia Chehade
De nombreux signes attestent de la vitalité de la francophonie libanaise : le français est enseigné comme langue seconde dans 70 % des établissements scolaires dès la maternelle, se classant ainsi en deuxième position derrière l’arabe, mais devant l’anglais ; 63 % des élèves inscrits dans les écoles libanaises étudient le français contre 36 % pour l’anglais en 20061 ; 30 établissements scolaires sont français ou homologués par la France, dont 23 à Beyrouth et dans sa banlieue, comptant au total 45 000 élèves qui suivent le même programme scolaire qu’en France ; il y a 9 centres culturels français, répartis dans toutes les régions libanaises, sans oublier une abondante littérature francophone et la francophonie de la presse, notamment de l’audiovisuel. Et pourtant, le rapport réalisé en mars 2006, à l’occasion de la Journée mondiale de la francophonie, montre qu’au pays du cèdre, l’anglais gagne du terrain et que le français recule d’environ 1 % par an dans les écoles. Les jeunes Libanais même les plus francophones se détournent de la langue française et s’orientent vers l’anglais, langue à la fois facile et utile.
L’Enseignement de l’Anglais a le Vent en Poupe
La langue anglaise progresse à vive allure grâce à son enseignement dans les écoles francophones. Étant donné l’importance de l’anglais dans les domaines scientifique, économique et technique, les écoles francophones ont augmenté le nombre d’heures consacrées à son étude, soit 3 à 4 heures par semaine au lieu d’une heure précédemment. D’autres écoles ont ouvert des sections libres en anglais. Citons à titre d’exemples Notre-Dame de Louayzé dans le Mont-Liban qui est, avec 4 000 élèves chaque année, la plus grande école francophone libanaise, l’École Antonine à Baabda, le Collège central à Jounieh ou encore l’école Balamand dans le Nord du pays. Parallèlement, les écoles anglophones ne cessent de se multiplier, au rythme d’une école tous les deux ou trois ans. L’anglais intéresse aussi les Libanais au niveau universitaire. Les diplômes anglosaxons semblent plus faciles à obtenir grâce à la souplesse du système américain. Les Libanais s’orientent donc vers les sections anglophones des universités francophones comme celles de l’université libanaise ou l’université de Balamand, ou bien vers les universités anglophones (université américaine de Beyrouth, université libanaise américaine par exemple). L’ouverture de la section de lettres anglaises de l’université libanaise a provoqué la ruée des étudiants : alors que le département de lettres françaises comptait, en 2006-2007, 200 inscrits, il y avait 500 à 600 étudiants en première année de lettres anglaises2 !
Les universités anglophones apparaissent plus accessibles que les universités francophones, plus sélectives : l’université Saint-Joseph soumet ainsi les bacheliers à un test d’aptitude en langue française préalable à toute inscription en première année, et ne recrute que les étudiants les plus brillants. Ajoutons aussi qu’il est moins couteux de poursuivre des études dans une université américaine que dans une université française.
Les mentalités libanaises favorisent elles aussi la montée de l’anglais. L’objectif d’études poussées est de pouvoir s’expatrier un jour pour fuir le chômage libanais et trouver un travail bien rémunéré. Les diplômes anglophones apparaissent alors comme un passeport pour un éventuel départ et notamment vers les pays du Golfe. Ainsi les parents, et surtout les parents chrétiens, inscrivent leurs enfants dans des écoles francophones où ils apprennent trois langues pour qu’ils puissent ensuite être admis dans une université anglophone.
Dernier facteur : le facteur économique. La crise économique engendrée par la guerre libanaise a favorisé l’inflation des prix des livres scolaires français. L’achat d’un livre français pèse lourdement sur le budget des familles libanaises aux revenus mensuels réduits. Or, les livres anglo-saxons, du fait d’une loi favorisant les petits prix, restent toujours accessibles. Le même ouvrage coûte en anglais 8 dollars américains, soit 6 euros, et 14 euros en français !
Des Signes de Renouveau pour le Français
Le français reste malgré tout une langue profondément enracinée au pays du cèdre : il fait partie de l’identité culturelle libanaise, notamment chez les chrétiens. Selon un sondage réalisé par l’institut Ipsos en 2001, près d’un Libanais sur deux est francophone.
Le français gagne du terrain au sein de la communauté musulmane pourtant réputée anglophone. Des familles chiites, de retour au Liban après un long séjour en Afrique francophone, ont ainsi favorisé l’ouverture de deux écoles francophones dans le sud du pays. Les chiites ont par ailleurs opté pour le français pour des raisons idéologiques et surtout anti-américaines ; la guerre en Irak en 2003 dirigée par les Américains, la guerre de l’État hébreu allié des Américains contre le Liban en 2006 et, de façon générale, la politique américaine qualifiée par certains d’« antiarabe » poussent les musulmans vers le français. Sans oublier le rôle joué par l’amitié de Rafic Hariri et de Jacques Chirac dans le rapprochement de la communauté sunnite avec la francophonie. Le ralliement des druzes a été quant à lui favorisé par la politique de Walid Joumblatt : le chef du parti socialiste progressiste libanais, druze francophone et francophile, a fait ouvrir, à ses propres frais mais aussi grâce à l’aide de la France un centre culturel français dans la montagne du Chouf, en 19933.
Une politique de coopération renforcée
Prenant conscience de la montée en puissance de l’anglais, la France a cherché à consolider la place du français, selon deux axes principaux : la lutte contre l’érosion de l’influence de la langue française et le développement de sa présence dans l’ensemble du Liban et dans toutes les communautés. Cette politique passe par le renforcement de la coopération culturelle, universitaire et technique avec le Liban.
La coopération culturelle vise à améliorer le niveau de français en général et celui du secteur public en particulier : celui-ci manque de personnel qualifié. La France a donc organisé la formation de 16 000 enseignants libanais.
La coopération universitaire s’est traduite par quelques réalisations marquantes : création de l’École supérieure des affaires (ESA), grande école de management à la française, à Beyrouth en 1996, et de l’École nationale d’administration (ENA) en 2002. Par le biais de ces coopérations, la France souhaite faire de Beyrouth un pôle universitaire régional francophone. Sur le plan technique, la France a mené des actions contribuant largement à la vitalité de l’environnement francophone. D’une part, France télévision a signé, en juillet 2000, un accord avec la Télévision du Liban pour le renouveau complet de canal Neuf. D’autre part, la France a, en 2001, réhabilité Radio-Liban (96.2 FM), ce qui a considérablement élargi l’audience de cette station d’expression française. Malgré la part croissante de l’anglais dans les écoles libanaises, le français ne sera pas facilement remplacé. Il a encore de beaux jours devant lui. Un conseiller de l’ambassade française au Liban l’a bien affirmé en 2004 : « Le trilinguisme, arabe, français, anglais est en forte progression au Liban, d’où l’impression d’un recul relatif du français, mais la francophonie se porte bien. »
Fonte: Le Français dans le Monde, 360 - novembro-dezembro 2008 (www.fdlm.org)
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