Maxime Rovere
Imaginez des notes de cours de 1311. Imaginez que le plus grand philosophe du XIVe siècle s´y soit donné pour tâche d´exposer ds choses "nouvelles, brèves et faciles", jalons d´un projet rationaliste de grande ampleur. Imaginez enfin que vous entrez dans la cuisine universitaire où furent inventés les plus belles audaces de la mystique allemande. Vous aurez alors une idée de ce que la lecture des "sermons latins" fait à celui qui s´y frotte: un mélange de brutal dépaysement et d´enchantement presque lyrique, d´obscurité pointilleuse et d´émerveillement étonné.
D´une part, en effet, Eckhart se livre à l´exercice très défini qui constitue le sermon universitaire: il cite un passage de la Bible, puis l´éclaire par d´autres passages de nouveau empruntés à l´Écriture, ou aux Pères de l´Église, ou encore aux philosophes grecs et arabes. Évidement, d´un point de vue formel, cela semble austère, et à certaines pages ça l´est en effet. Mais, d´autre part, le texte est également gorgé de ces formules que l´on tourne, quand on enseigne, pour saisir par les tripes les auditeurs qui s´assoupissent. C´est ainsi, par exemple, qu´il conclut le sermon VI avec des formules si cinglantes que l´on croirait lire Spinoza: "Nous ne devons pas remercier Dieu de nous aimer. La nécessité en effet lui en incombe" (p. 93). Plus doux, dans le sermon XL, il remarque que le commandement "tu aimerais..." peut être reçu "comme un précepte et comme une annonce, au sens de prophétie et de promesse" (p. 331): lecture aussi suprenante que généreuse... Cependant, il faut admettre que les fulgurances sont moins nombreuses ici que dans les "sermons allemands", et pour cause: destinés à un public plus large, ceux-ci ont introduit en langue vulgaire les subtilités qu´avaient permises les sermons latins, rédigés pour des universitaires, en y ajoutant une incomparable séduction littéraire.
La Mesure de l´Amour: Sermons Parisiens
Maître Eckhart
Seuil
de R$ 120,00
por R$ 90,00
Fonte: Le Magazine Littéraire, 492 - dezembro de 2009, pg. 48
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