sábado, 13 de fevereiro de 2010

Auguste Maquet: Portrait d´un Nègre

Alors que « l'Autre Dumas » sort en salles cette semaine, la personne d'Auguste Maquet, fameux nègre du maître-feuilletoniste, fait l'objet d'un essai très réussi. Dans « Alexandre Dumas, Auguste Maquet et associés » (Bartillat), Bernard Fillaire rend justice à ce damné de la littérature.

David Caviglioli


Lorsqu'on porta Alexandre Dumas au Panthéon, en 2002, il n'y eut qu'une voix pour lui. Celle de Régine Desforges, qui regretta dans « l'Humanité », le journal des oubliés, que « pour avoir aidé à l'élaboration de ces chefs-d'œuvres », Auguste Maquet n'ait pas eu « une petite place au Panthéon auprès de son complice.»

Etrange paradoxe : Maquet, incarné par Benoît Poelvoorde dans le film qui sort cette semaine, est devenu le nègre le plus célèbre de ce XIXème siècle qui en a tant compté, alors même que Dumas, son rédacteur en chef, l'a maladivement retenu dans l'ombre. Eugène Scribe, auteur de vaudeville qui n'a pas écrit ses cinq cents pièces tout seul, avait inscrit les noms de ses collaborateurs sur un mur de sa propriété séricourtoise (du nom de Séricourt, dans le Pas-de-Calais) ; Labiche se fit enterrer au Père Lachaise à côté de Marc Michel, son porte-plume. Dumas n'eut pas ce genre d'égard pour le pauvre Maquet, qui était pourtant obsédé par la postérité : il a ainsi fait inscrire sur sa tombe les titres des oeuvres dumassiennes qu'il avait prémâchées. « Vingt ans après », « Le Comte de Monte-Cristo ». Le pauvre Maquet rêvait que son nom soit gravé sur le marbre des siècles. Il ne l'est que sur celui des cimetières.

Il est né un 13 septembre 1813, « ce qui dénote déjà un certain courage » selon Bernard Fillaire. Elevé dans les belles lettres par son père, riche industriel de la rue Quincampoix, Maquet est un jeune homme précoce et devient répétiteur de latin-grec au collège Charlemagne à seize ans. C'est à cette époque qu'il rencontre Théophile Gautier, Pétrus Borel et Gérard de Nerval, romantiques fiévreux du même acabit que lui, et participe aux rassemblements des « Jeunes-France » en face des Tuileries, « la mère patrie de tous les bohèmes littéraires. » Sa thèse de doctorat s'intitule : « De La Fontaine comparé comme fabuliste à Esope et à Phèdre ». Il est recalé à l'agrégation. « Je vais demander à la littérature ce que l'Université me refuse : gloire et profit, déclare-t-il. L'avenir prouvera si j'ai eu tort ou raison. » L'avenir n'a pas été plus clément avec lui que les caciques de la Sorbonne.

« Vous n'êtes pas un nom ! », s'entend-il rétorquer lorsqu'il propose un drame en trois actes au théâtre Saint-Antoine. Il envoie un roman historique aux pages culturelles de « la Presse ». On lui répond encore : « Vous n'êtes pas un nom, et nous ne voulons que des noms. » Sans doute le malheureux Maquet ne savait-il pas encore que le seul moyen qu'il aurait de se faire un nom serait de prendre celui des autres. Il fait dans un premier temps le nègre pour Gérard de Nerval. Il doit se conformer aux desideratas farfelus du poète :

« Dans ce dernier travail dont Gérard fournissait le plan, il me fut aisé de comprendre combien ce cerveau surexcité avait pris de vertige et d'ombres noires. Son plan confinait à la folie, le dénouvement était insensé. Je le lui dis, Gérard persista. Il signait, je le laissai faire. »

Dans le même temps, il donne, par le truchement de Nerval, une de ses pièces, « le Soir de carnaval », à Alexandre Dumas, qui accepte de ne pas y apposer sa signature. Ce sera la seule fois que le fameux feuilletoniste laissera Maquet endosser une de leurs collaborations. N'allons pas y voir une éthique de la première rencontre : Dumas pouvait tout simplement percevoir sa rémunération plus discrètement, à la barbe de ses créanciers. La pièce se nomme désormais « Bathilde », et selon un mot que Nerval l'entremetteur envoie à Maquet l'entremis, « plaît à tout le monde. » Il poursuit par ce qui a alors dû passer comme une bonne nouvelle : « Je te donnerai rendez-vous demain ou après pour te présenter à Dumas. »

La publication de « Bathilde », c'est le service qui lie à la mafia, c'est le cadeau qu'on accepte sans savoir qu'on y laisse son âme. Maquet ne réalisa pas que la loyauté est souvent le sentiment qui lie l'arnaqué à l'arnaqueur. Il se croyait redevable à Dumas et accepta sans broncher de lui céder ce roman historique qu'il n'avait pas pu publier, « le Bonhomme Buvat ou la Conspiration de Cellamare ».

Colette, dans « Mes apprentissages », écrivit : « Il y aura toujours assez de faméliques dans notre métier, malheureusement, pour que l'emploi de "nègres" ne se perde point. » Mais ce n'est pas la misère qui poussa Maquet dans les bras kleptomanes de Dumas. Sa seule obsession était de ne pas s'éloigner de la littérature. Il a cependant dû souffrir. La collaboration littéraire était une véritable matrice à scandale pour la presse de l'époque. Ces « crimes de plume » provoquèrent même la fondation de la Société des gens de lettres, qui fut présidée douze ans par... Auguste Maquet.


http://bibliobs.nouvelobs.com/20100210/17610/auguste-maquet-portrait-dun-negre

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