Alain Mabanckou
Célébrer "le cinquantenaire des indépendances africaines" paraît, à première vue une initiative louable. Les festivités ne manquent pas ici et là. Mais derrière celles-ci se cachent les désillusions «croquées » dans le roman très actuel, "Les Soleils des Indépendances" de l’Ivoirien Ahmadou Kourouma. L’Afrique, depuis les années soixante – année de l'émancipation contre le joug colonial – est le théâtre des atrocités qu'on ne pourrait plus tout simplement expliquer par une prétendue barbarie atavique ou une malédiction biblique.
Alors que nous croyions que la fin de la Guerre froide – et donc de l’opposition Est-Ouest, Amérique-URSS – préfigurait une voie de progrès pour l’Afrique, les formes de domination se sont métamorphosées, plus pernicieuses et plus douloureuses pour les populations africaines. Les grandes puissances ont pris d'assaut le continent noir, désormais territoire stratégique. Les conflits se sont multipliés : Libéria, Somalie, Sierra Léone, Ethiopie, Erythrée, Soudan, la région des Grands lacs... Une liste interminable et funeste.
Au fond, la prolifération des nations dictatoriales après les indépendances n’arrangea guère les choses : les dictateurs africains devinrent (et demeurent) les relais des anciennes puissances coloniales qui les maintenaient (et les maintiennent) par perfusion au pouvoir. Les années quatre-vingt-dix ont été les plus sombres. "Le discours de la Baule" prononcé par Mitterrand en 1990 nous donna l'illusion qu'un vent de démocratie allait souffler. On espérait la fin du sponsoring des dictatures africaines par l'Occident et le départ des ces dirigeants à vie. Tel ne fut pas le cas...
Alors qu’en 1994 l’Afrique du Sud sortait de l’Apartheid avec des élections démocratiques, l'Afrique avait dansé. Mais cette joie fut de courte durée puisque la même année un des drames les plus sinistres du continent noir éclatait : le génocide planifié de longue date et exécuté méthodiquement par les Hutus contre les Tutsis. Ce dernier drame est le résultat de la configuration coloniale, avec la division des peuples africains – les Belges ayant, pour leur part, introduit la carte d’identité ethnique pendant que la France s’ingénia à soutenir le régime totalitaire de Juvénal Habyarimana. Nous sommes indépendants sur le papier. Il reste à conquérir une indépendance de notre manière de penser, et cette démarche implique une révision de notre attitude, un examen complet de notre conscience. Que fête-t-on actuellement ? Les Indépendances sur le papier ou la dépendance des consciences ?
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Les Soleils des Indépendances
Ahmadou Kourouma
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