Gilles Jacob
Robert. Robert Bresson. Sa magnifique chevelure blanche. Ses yeux pâle. Le choix des mots. Les notes sur le cinématographe. L´échange entre les images et les sons. Bresson le chercheur. On aurait dû lui donner le prix Nobel de chimie. L´écriture. Les modèles. Le "drôle de chemin". La grâce. "Lutte! - Je lutte!" "Reste! - Je reste..." Les visages de femmes : Anne Wiazemsky, Dominique Sanda, Florence Delay... Filmer le mystère ; l´inconnu. L´âne. Le curé. Le condamné. Le pickpocket. La petite fille. Mouchette roule vers la rivière, sa robe reste accrochée. Monteverdi. Noir.
Bresson, Vigo, Tati, Renoir, Resnais : une bonne base de départ pour une vidéothèque. Mais la question n´était pas d´être le premier. Bresson était à part. Pull en cashmere jeté sur ses épaules, pantalon de toile assorti, il avait la coquetterie de son élégance et l´orgueil de sa solitude. Et même, cette solitude, il la revendiquait. Il prétendait ne jamais voir les filmes des autres. Menteur! Il les connaissait très bien. Il entrait dans les salles quand le film était déjà commencé et repartait avant la fin. Un jour de 83, il sortait du Carlton se rendant à une fête pour "L´Argent" dans une villa des Hauts de Cannes. Des photographes d´agence étaient là. Il les repère. Il fonce sur eux. Il lance sa main pour masquer l´objectif. Se baisse dès qu´il aperçoit la caméra. Il les tutoie. Les injurie. Toute la soirée, ce jeu de cache-cache. Se détourner. Mettre sa main devant son visage. Maugréer. Fuir. Partir en courant dans la nuit.
Des journalistes aussi le traquaient : "Avez-vous eu l´avance sur recettes parce que Caroline Lang (la fille du ministre) joue dans 'L´Argent'? Aurez-vous la Palme d´Or? - Mais je n´en sais rien", ripostait Bresson. Et Tarkovski, lui aussi orgueilleux, lui aussi en compétition cette année-là, disait, de son côté : "Je suis comme Bresson, c´est la Palme d´Or ou rien." (Moyennant quoi, non seulement ils n´ont pas eu la Palme mais on leur a donné un prix ex aequo qui ne faisait l´affaire ni de l´un ni de l´autre.)
Une autre fois, Bresson vient nous trouver, Favre Le Bret et moi. Il arrive dans le bureau. Refuse de s´asseoir. Il était énervé. Il avait appris qu´on projetait un court-métrage avant son film (c´était l´usage, à l´époque) et il ne voulait pas. Ou alors, disait-il, il faut laisser un intervalle d´une demi-heure entre la fin du court et mon film. Favre Le Bret lui expliqua que ce n´était pas possible, que les gens casseraient les fauteuils. Mais le monde de Bresson s´accommode mal d´un autre univers. Avant la projection, il nécessite silence et recueillement. Robert se tourna vers moi. Nous nous connaissons depuis longtemps. J´avais été chez lui, dans l´île Saint-Louis, à Droue-sur-Drouette. Surtout, je l´avais vu tourner. Les films de Bresson ne sont pas tous totalement réussis. Il arrive que les fameux "modèles", ces non-comédiens, plombent le film. Mais la cohérence de l´ensemble, l´air raréfié des cimes où il nous entraîne, et ses quatre ou cinq chefs-d´oeuvre absolus ("Pickpocket", "Un condamné à mort...", "Mouchette" et "Au hasard, Balthazar") me mettront toujours du côté de l´artiste.
Je me rapelle une séance d´enregistrement : le simple tintement d´un pot à lait pour "Mouchette". Enfin, simple... Au bout d´une trentaine d´essais de sons différents, l´ingénieur du son croyait devenir fou. Mais le cinéaste savait exactement ce qu´il voulait, il trouva, et il avait raison, tant il est vrai qu´un film de Bresson, cela se mérite.
Il y eut un grand intervalle après le court-métrage.
La Vie passera comme un Rêve
Gilles Jacob
Robert Laffont
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