sábado, 10 de julho de 2010

Anouar Koursi : Un Avocat sous Pression


Avocat à Tunis et vice-président de la Ligue tunisienne pour la défense des droits de l'homme, Anouar Kousri raconte son engagement et évoque les brimades et intimidations subies par les avocats droit-de-l'hommistes tunisiens.


Benjamin Seze


Anouar Kousri, avocat et vice-président de la Ligue tunisienne pour la défense des droits de l'homme, déambule au milieu des stands du forum mondial des droits de l'homme, à Nantes, lorsqu'il croise une compatriote. «Au revoir», lui dit-elle. « Mais je ne pars pas. Je vais juste déjeuner. Même ici, vous voulez m'expulser?», demande-t-il, ironique.

Un peu plus loin, un homme, lui aussi tunisien, l'aborde. Il lui parle en arabe. Le ton est virulent. Au milieu d'une phrase, un mot français : «mensonges». L'échange dure quelque secondes. Les deux hommes se quittent en plaisantant.

«On se connait. Ils sont là à chaque fois. Ils ne me font pas peur», commente Anouar Kousri. L'homme et la femme font partie d'un petit groupe de ressortissants tunisiens, vraisemblablement proches du pouvoir, présents au forum pour discréditer les interventions des militants tunisiens des droits de l'homme lors des tables rondes.« Pour eux, je suis un traître qui porte atteinte à l'image de son pays», déclare l'avocat.

Comme ses confrères droit-de-l'hommistes à Tunis, Anouar Kousri subit une pression permanente. « Nous sommes régulièrement pris en filature en voiture. Nos maisons sont parfois surveillées. Postés devant nos bureaux, des policiers en civil dissuadent les clients de venir nous voir. On nous empêche de recevoir nos amis dans nos bureaux. Parfois, il y a des agressions physiques. Au bureau et chez moi, je ne peux pas avoir de liaison internet normale. Lorsqu'on plaide, il y a des policiers en civil à l'audience pour faire pression sur le juge. Du coup, le juge nous coupe la parole lorsqu'on dit des choses qui dérangent comme lorsqu'on évoque la torture. Parfois, il nous empêche de plaider. Nous sommes aussi fortement taxés. Certains avocats n'ont presque plus de clients, et donc pas assez de revenus pour payer cette taxe. Nous pouvons quitter le pays, mais quand nous revenons de l'étranger, nous sommes sérieusement attendus à l'aéroport.»

Militant

Anouar Kousri dit avoir toujours voulu devenir avocat. « Quand j'étais petit, c'était le top.» Lorsqu'on lui demande d'où lui vient cette envie de s'engager dans la défense des droits de l'homme, il raconte une vieille anecdote. C'était dans les années 60. Bien avant ses études de droit à la Sorbonne et son militantisme à l'Union générale des étudiants de Tunisie (Uget) . Il était encore un gamin de Bizerte (au nord de Tunis), fils de conchyculteur (éleveur de coquillages).

« J'avais dix ans. On était dans la rue avec des amis. La voiture de police est passée. Il y en avait une seule à Bizerte à l'époque, une petite dauphine. Les policiers nous ont insulté. Alors j'ai pris un caillou et j'ai frappé la voiture. Ils m'ont attrapé et m'ont emmené au poste. Mais quand on est arrivé devant, j'ai ouvert la porte de la voiture et je suis parti en courant. »

Aujourd'hui, l'homme n'a rien perdu de cet esprit frondeur. Au tribunal, il dérange en dénonçant les abus dans l'application de la loi de lutte contre le terrorisme (loi du 10 décembre 2003). « Je défends des jeunes tunisiens salafistes qui ont été poursuivis et condamnés. Une grande majorité d'entre eux affirment qu'ils ont été torturés.»

A Nantes, Anouar Kousri est notamment venu dénoncer une loi adoptée, mardi 15 juin, par les députés tunisiens. Cette loi criminalise «les atteintes aux intérêts vitaux» du pays et à «sa sécurité économique».

Elle vise à «réprimer quiconque s'avise intentionnellement de porter préjudice aux intérêts vitaux de la Tunisie», en établissant à cet effet «de manière directe ou indirecte, des contacts avec les agents d'une puissance étrangère ou d'une institution ou organisation étrangère».

Pour l'avocat: «le but de cette loi est de nous dire: "Si vous, défenseurs des droits de l'homme, à l'étranger vous nouez des liens avec, par exemple, une organisation internationale ou députés européens pour parler des violations des droits de l'homme dans notre pays, vous risquez de nuire à nos contacts économiques avec ces gens là." Cette loi est comme une épée de Damoclès au dessus de notre tête. Celui qui parle va en prison.»



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